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Une entrevue avec Fadel Barro

1) Coordinateur du mouvement citoyen sénégalais Y’en a marre, vous décidez maintenant de rejoindre PPLAAF. Comment voyez-vous le lien entre la contestation civique et le lancement d’alerte ?

On est toujours dans le domaine de l’engagement citoyen, il me semble. Le lanceur d’alerte est quelqu’un qui décide d’agir quand il constate que l’intérêt général est menacé, son objectif est toujours de préserver, sauver ou entretenir le bien public. Tout comme l’activiste, à mon sens, qui agit pour renforcer sa démocratie ou se fait l’écho sonore des préoccupations des populations. On pourrait amener à dire que le lanceur d’alerte est un activiste. Seulement, lui devient les yeux de la population pour prévenir ou rendre compte du danger qui menace l’intérêt du plus grand nombre. Donc, pour moi, travailler avec PPLAAF est une continuité ou plutôt une complémentarité du moment où, ici ou ailleurs, qu’on alerte ou qu’on manifeste, l’objectif reste de participer à renforcer l’épanouissement des populations.

2) Après avoir été au premier plan de la contestation civique pacifique au Sénégal, vous travaillerez maintenant avec des lanceurs d’alerte, souvent à l’arrière-plan du débat public, sous l’anonymat et le risque de représailles. Pourquoi ce choix ?

(Sourire) Quand nous avons co-initié le Mouvement Y’en a marre, ce n’était pas pour être au premier plan. Il y a un vieux proverbe sénégalais qui dit : « ne regarde pas le doigt qui te prévient du danger, regarde plutôt la direction qu’il t’indique ». Avec PPLAAF, on cherchera plutôt à promouvoir ces doigts qui signalent le danger, les encourager et les protéger pour ouvrir nos pays à la culture des lanceurs d’alerte. C’est un élément important de la démocratie. Les citoyens doivent savoir ce qui se passe, et sur tous les plans : économique, social, politique, environnemental, sanitaire… Regardes ce qui se passe avec la pandémie du Coronavirus. Au début de cette affaire en Chine, il y a eu un lanceur d’alerte, le docteur Liwenliang, qui a très tôt signalé la catastrophe qui guettait l’humanité. S’il avait été écouté et protégé, on aurait mieux géré cette crise. Donc, qu’on soit au premier ou deuxième plan, l’essentiel c’est de jouer ce rôle.
Après, il faut dire que je suis journaliste qui a travaillé à la Gazette, qui était un hebdomadaire d’enquête et d’investigation. Rejoindre l’équipe de PPLAAF me ramène dans mon métier et j’espère que nous pourrons beaucoup travailler ensemble aussi à renforcer le journalisme d’investigation qui est très faible en Afrique de l’Ouest en ce moment.

3) Partout en Afrique, de courageux lanceurs d’alerte révèlent bravement des actes contraires à l’intérêt général. Leur bravoure entraîne souvent des représailles. Quelles sont les meilleures stratégies pour les protéger, d’après vous ?

La stratégie sera définie par ou avec ces lanceurs d’alerte qui connaissent mieux que quiconque les réalités de leur contexte. Je salue tout le travail et tous les risques qu’ils prennent dans des environnements extrêmement hostiles pour continuer à faire des signalements. Je pense qu’il sera nécessaire de se mettre ensemble pour mieux se faire connaître et mieux se défendre. Quand on est isolé, on est plus vulnérable face à la répression que quand on dans un groupe fort qui protège bien ses membres. Il y a beaucoup de choses à faire à ce niveau. Ensuite, je pense qu’il faudrait adapter le concept aux réalités locales pour le rendre plus audible. Dans toutes les sociétés de l’Afrique de l’ouest, il y a eu des gens qui ont joué ce rôle. Il va falloir s’incruster dans ces cultures pour vulgariser l’utilité et l’importance des lanceurs d’alerte. La difficulté aujourd’hui, c’est qu’on assimile le lancement d’alerte aux dossiers politico-financier alors qu’il n’y a pas que de la politique. Il faudra arriver à faire de chaque citoyen un potentiel lanceur d’alerte sur tout ce qui touche sa vie au quotidien.

4) Moins d’une dizaine de pays africains disposent de lois de protection de lanceurs d’alerte. Comment promouvoir des législations les protégeant en Afrique de l’Ouest ? Est-ce une priorité, même dans des pays ayant un état de droit compliqué ?

Tous les pays et tous les peuples méritent la transparence. Quel que soit le niveau de l’Etat de droit, il ne faut pas abandonner le combat, il faut continuer à se battre pour préserver l’intérêt général. Et cela reste une priorité même dans les pays où les droits et les libertés sont confisqués.
Il y a légalement le retard de nos législations sur la protection des lanceurs d’alerte. C’est une question de droit à l’accès à l’information ! Il faudra mobiliser les décideurs mais aussi les forces vives pour une meilleure protection des lanceurs d’alerte. Cela passera par des formes d’intervention spécifiques et propres à chaque contexte.

5) Le lancement d’alerte est un terme encore peu connu en Afrique. Comment susciter une culture de signalement et d’alerte ?

Je disais tantôt qu’il va falloir rendre d’abord le concept plus audible et plus accessible à tous. Si le lancement d’alerte n’est pas développé, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de besoin ou que les opportunités n’existent pas, c’est juste que les gens manquent de protection et souvent ils ne savent pas à qui s’adresser. Il n’y a pas aujourd’hui de mécanisme ou un instrument spécialisé assez attractif pour accueillir et protéger de nouveaux lanceurs. C’est à ce niveau que le PPLAAF pourra jouer un grand rôle. Il y a un travail intéressant à faire.

6) Un lanceur d’alerte est-il forcément un homme politique ?

Quand un signalement vient d’un homme politique, ça peut créer une polémique qui ne favorise pas l’éclatement de la vérité surtout dans des contextes où la justice n’est pas indépendante. Le dossier finit juste à alimenter la querelle entre opposants et majorité au pouvoir. Le débat sur la neutralité et l’objectivité du signalement fait plus écho que l’alerte elle même. Cela fait aussi que les lanceurs d’alerte sont assimilés à des politiciens qui ont un agenda caché même s’il n’en est rien. Ce sont des soucis et il faut en tenir compte. Maintenant, les hommes politiques sont des citoyens qui ont le droit et même le devoir d’alerter quand le bien public est menacé.

7) Vous considérez-vous comme un lanceur d’alerte ?

Oui, dans un sens large du terme, mais je ne suis pas Jean Jacques Lumumba ou Edward Snowden. Je veux dire que chaque citoyen peut être un lanceur d’alerte mais ceux qui sont en position de connaître des informations nuisibles à l’intérêt public et qui sacrifient leur carrière, leur confort et s’exposer à la répression méritent tout notre respect et notre protection.



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