Ravo Ramasomanana, ancien fonctionnaire du service des marchés publics du ministère malgache de la Santé publique, a mis en lumière des irrégularités liées à l’attribution d’un marché public pour la construction, débutée en 2019, d’un centre de transplantation rénale au centre hospitalier universitaire d’Andohatapenara Dans une vidéo publiée sur ses réseaux sociaux, Ramasomanana dénonce une mauvaise gestion présumée des fonds publics par les autorités malgaches. Il pointe notamment du doigt l’allocation de 730 millions d’ariary (environ 200 000 dollars à l’époque) pour repeindre l’extérieur des hôpitaux publics, alors que des éléments essentiels tels que des équipements, des médicaments, le personnel infirmier et des équipements de protection individuelle dans les hôpitaux restaient insuffisants.
En outre, Ramasomanana révèle que des chèques bancaires auraient été utilisés à des fins de falsification et de contrefaçon dans le cadre de la procédure de passation de marchés. Lorsqu’il travaillait au sein du service de gestion des marchés publics, il a personnellement traité le dossier et aurait refusé de valider le contrat en raison de l’omniprésence apparente de la falsification. Il aurait émis des réserves vis-à-vis de transactions financières suspectes concernant le fonds de 44 milliards d’ariary du ministère de la santé (environ 11,7 millions de US dollars à l’époque).
Suite à ces révélations, Ramasomanana dépose une plainte auprès du Pôle Anti-Corruption de Madagascar contre le Ministère de la Santé Publique pour « faux et usage de faux, abus de fonction, corruption active et passive, abus de confiance, détournement de fonds publics et complicité de ces infractions ». Il y joint des documents et des preuves des irrégularités et des actes de corruption qu’il dénonce.
Cependant, Ramasomanana est poursuivi par son employeur pour diffamation et diffusion de fausses informations. Il est acquitté de l’accusation de « troubles à l’ordre public et incitation à la haine du gouvernement ». Il est néanmoins condamné par le tribunal pénal d’Antanaravino le 29 novembre 2021 à une amende d’un million d’ariary (environ 260 dollars) pour « insulte et diffamation ».
Après la condamnation de Ramasomanana en novembre 2021, son avocat, Maître Rafidison a réagi : « Mon client a, entre autre, dénoncé l’attribution illégale d’un marché de construction d’un centre de transplantation rénale par une entreprise qui n’avait même pas concouru à l’appel d’offre ».
Corruption dans le secteur foncier
Selon un rapport de MALINA, un réseau de journalistes d’investigation créé par Transparency International Madagascar, un appel d’offres est lancé le 30 octobre 2019 pour la construction du centre de transplantation rénale au CHU d’Andohatapenara. La date limite pour la soumission des offres est fixée au 11 novembre 2019, mais aucune soumission n’est reçue. Cependant, après la clôture du délai, Ravo Ramasomanana dit avoir remarqué l’apparition de procès-verbaux sur l’ouverture de l’appel d’offres de la Commission. Il affirme que ces procès-verbaux ne semblaient pas authentiques mais que l’Agence générale SARL était citée comme la seule candidate à avoir déposé sa candidature dans les délais.
Le marché a ensuite été attribué à la SARL pour un montant de 739 millions d’ariary (près de 162 000 dollars) alors qu’il s’agit d’une société de nettoyage qui n’est pas spécialisée dans la construction. Pourtant, l‘article 20 de la loi n° 2016-055 relative au code des marchés publics dispose clairement que : « Tout candidat à un marché public doit démontrer qu’il dispose de la capacité juridique, technique et financière et de l’expérience nécessaire à l’exécution des prestations objet du marché ».
Le problème de la corruption dans le secteur foncier à Madagascar n’est pas nouveau. Il avait déjà été mis en évidence dans un rapport de 2017 de Transparency International Madagascar. La même année, le président de la Commission nationale des marchés, Rindra Rabarinirinarison, affirmait également que près de 53% des procédures d’attribution des marchés étaient non conformes.
Détournement de fonds destinés à la santé publique
Ramasomanana a également souligné l’allocation présumée de 730 millions d’ariary (environ 200 000 dollars à l’époque) pour peindre l’extérieur de sept hôpitaux publics à Tulear, Fianarantsoa, Fenoarivo, Andohatapenaka, Anosy, Morafeno et Tanambao. L’extérieur de ces hôpitaux publics a été peint en orange, la couleur du parti du président. Cela s’est produit au plus fort de la pandémie de Covid-19, lorsque, selon Ramasomanana, les éléments essentiels de la santé publique tels que les ‘équipements, les médicaments, le personnel infirmier et l’équipement de protection individuelle dans les hôpitaux étaient insuffisants.
Ayant lui-même contracté lae Covid-19, Ramasomanana décrit le manque de médicaments comme le Lovenox à l’hôpital d’Andohatapenaka, ainsi que le manque d’oxygène nécessaire au traitement. Par ailleurs, alors qu’une somme de 44 trillion d’ariary (11,7 millions de dollars) était prévue pour la rénovation de 13 hôpitaux, Ramasomanana allègue que ces fonds auraient été utilisés à d’autres fins et par d’autres organismes et que certains centres ont été livrés sans électricité ni eau courante. Enfin, M. Ramasomanana évoque le manque de médecins, les stagiaires étant privilégiés dans le processus de recrutement alors que les médecins font la queue au ministère pour soumettre leur candidature. Il dénonce le népotisme qui, selon lui, règne dans le secteur de la santé publique malgache.
M. Ramasomanana démissionne en novembre 2020 après avoir refusé de signer des documents qu’il estimait entachés d’irrégularités et de corruption. Il a également été condamné à une amende d’un million d’ariary (environ 260 dollars) pour « injure et diffamation ». À ce jour, la loi malgache ne prévoit aucune protection pour les lanceurs d’alerte, et nombre d’entre eux sont poursuivis par les autorités malgaches, comme Jeannot Randriamanana, Raleva et Clovis Razafimalala. Pourtant, les lanceurs d’alerte jouent un rôle essentiel dans la dénonciation d’actes illégaux susceptibles de compromettre le développement de certains pays, tels que la corruption et les détournements.
La Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF), ainsi que de nombreuses autres organisations, exhortent le gouvernement malgache à prendre des mesures appropriées pour protéger les lanceurs d’alerte.
« Le temps est venu pour Madagascar de reconnaître l’importance de la transparence vis-à-vis de sa population et de l’intérêt général. La corruption et le détournement de ressources à des fins personnelles doivent cesser ». – Henri Thulliez, Directeur de PPLAAF.
PPLAAF est une organisation non gouvernementale créée en 2017 pour protéger les lanceurs d’alerte, ainsi que pour plaider et engager des contentieux stratégiques en leur nom lorsque leurs révélations traitent de l’intérêt général des citoyens africains.