L’ancien conseiller à la sécurité nationale du Nigeria a détourné des millions destinés à la lutte contre Boko Haram pour les investir dans de luxueuses propriétés aux États-Unis.
Une enquête menée par la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) a révélé que des millions de dollars liés à l’ancien conseiller nigérian à la sécurité nationale, Sambo Dasuki, ont été investis dans l’immobilier américain. M. Dasuki a été inculpé dans le passé pour avoir détourné plus de 2 milliards de dollars destinés à la lutte contre Boko Haram. Des dizaines de millions de dollars volés par M. Dasuki aux caisses du gouvernement nigérian auraient été investis dans des biens immobiliers de luxe à Los Angeles (Californie) et à McLean (Virginie), une banlieue cossue de Washington, DC.
L’enquête s’appuie sur des milliers de pages de titres de propriété, de documents d’immatriculation de sociétés, de relevés de transactions bancaires et de documents juridiques obtenus et analysés par PPLAAF. Ces documents ont été communiqués au Premium Times et au Washington Post, qui ont retracé certaines des transactions financières principales entre le bureau de Dasuki ainsi que Robert et Mimie Oshodin, des amis de la famille de Dasuki. L’investigation a également confirmé les conclusions de l’Economic and Financial Crimes Commission (EFCC), l’agence nigériane de lutte contre la corruption, qui a inculpé le couple Oshodin sur 25 chefs d’accusation de blanchiment d’argent en août 2019.
Dasukigate
Sambo Dasuki est né au sein de la royauté nigériane en tant que fils du sultan Sokoto. Il a étudié aux États-Unis avant de gravir les échelons de l’armée nigériane. En juin 2012, Dasuki, alors colonel de l’armée retraité, a été nommé conseiller à la sécurité nationale du président nigérian de l’époque, Goodluck Jonathan. Dasuki devait diriger la réponse du gouvernement contre le groupe terroriste Boko Haram, à l’origine de violences et de déplacements massifs dans le nord-est du Nigeria et dans les pays voisins, le Cameroun, le Tchad et le Niger.
Mais, selon la police nigériane, Dasuki était responsable du détournement de plus de 2 milliards de dollars des fonds destinés à la lutte contre Boko Haram par le biais de faux accords d’acquisition de matériel de défense et de contrats fallacieux. Lorsque Muhammadu Buhari est arrivé au pouvoir en 2015, le président récemment élu a limogé Dasuki. Le gouvernement l’a ensuite arrêté dans le cadre de ce scandale, appelé Dasukigate. En 2019, Dasuki a été libéré sous caution avant de comparaitre à nouveau devant la justice en 2022, où il plaide non coupable.
Durant les trois années du mandat de Dasuki, son bureau effectue des dizaines de transferts de millions de dollars sur les comptes bancaires d’un ami de la famille, Robert Oshodin, un fabricant de meubles nigérian basé aux États-Unis, et de son épouse, Mimie. Les Oshodin et la famille Dasuki entretenaient des relations étroites depuis des décennies, les Oshodin étant les tuteurs légaux des enfants de Dasuki aux États-Unis. Cette relation n’était pas seulement personnelle, elle comprenait également des intérêts financiers complexes.
Un style de vie somptueux, de magnifiques demeures
PPLAAF a identifié de nombreux actifs liés au Dasukigate. Peu après sa nomination au poste de conseiller à la sécurité nationale en 2012, Dasuki a commencé à transférer des sommes importantes au couple Oshodin qui, à la même époque, ont commencé à faire des investissements immobiliers substantiels dans les États américains de Californie et de Virginie.
Des documents examinés par le Premium Times montrent que ces paiements ont été effectués pour des « services de conseil » et des « opérations spéciales », ainsi que pour la « mise à disposition d’une campagne de contre-radicalisation ». Selon l’enquête, Dasuki et le couple Oshodin auraient comploté le détournement de plus de 100 milliards de dollars nigérians (environ 64 millions USD) du gouvernement nigérian à l’époque où Boko Haram terrorisait violemment la population du pays, enlevant notamment 276 écolières dans l’État de Borno au Nigéria en avril 2014.
Entre 2008 et 2012, les Oshodin auraient dépensé environ 1,6 million USD pour cinq propriétés en Californie et au Nevada, obtenant des prêts pour certaines d’entre elles. Mais leur comportement en matière d’investissement immobilier change radicalement après avoir reçu les premiers virements bancaires du bureau du conseiller à la sécurité nationale. Selon le Premium Times les Oshodin ont acheté, en une semaine, deux propriétés en liquide pour un montant de 16 millions USD avec l’aide de Dasuki.


La propriété achetée par le couple Oshodin à Los Angeles, peu après avoir reçu les fonds de Dasuki [Source : Bob Riha, Jr, Premium Times].
L’enquête de Premium Times explique en outre que les documents de l’acte d’accusation de l’EFCC concernant le couple Oshodin font état de plusieurs transferts bancaires, dont un virement de 7,7 millions de dollars vers les États-Unis à partir de fonds du gouvernement nigérian. Ce transfert a eu lieu quelques jours avant que le couple n’achète, en liquide, un manoir de 9,5 millions de dollars à Los Angeles, en Californie.

Extrait d’un acte de propriété montrant l’achat par la société Oshodins du manoir de McLean, en Virginie, pour 6,5 millions USD [Source : Premium Times]
En juin 2019, les forces de l’ordre nigérianes ont arrêté Mimie Oshodin pour blanchiment d’argent, l’accusant, elle et sa société de meubles, d’avoir reçu plus de 57 millions USD de fonds de sécurité nationale de la part de Dasuki. Elle a plaidé non coupable. Mimie a été libérée sous caution deux mois plus tard, tandis que son mari semble être resté hors de portée des autorités nigérianes.
Pendant le mandat de Dasuki, les Oshodin ont dépensé environ 24 millions de dollars en biens immobiliers aux États-Unis, ce qui correspondait souvent à d’importants transferts émanant du bureau de Dasuki. La plus importante de ces transactions a été l’achat d’un manoir à 9,5 millions de dollars à Los Angeles le jour même où le bureau de Dasuki a transféré 12 millions de dollars sur un compte au nom de l’entreprise de meubles du couple Oshodin au Nigeria. En 2022, les Oshodin ont vendu à perte le manoir de McLean pour acheter un manoir plus petit, également à McLean.
Comme l’indique le Premium Times, « tout comme les activités d’investissement des Oshodins ont augmenté lorsque M. Dasuki a pris ses fonctions, leur approche a changé à nouveau après qu’il ait quitté ses fonctions et qu’il ait été mis en examen ».
En outre, selon des documents judiciaires obtenus par PPLAAF, les Oshodin auraient entreposé des dizaines de millions de dollars de bijoux dans un manoir à Los Angeles, y compris une bague d’une valeur de plus de 3 millions de dollars, et des millions de dollars supplémentaires en mobilier et en antiquités. Premium Times a calculé qu’entre leurs biens immobiliers américains et les objets de valeur, y compris les bijoux, identifiés dans les documents judiciaires, la richesse du couple dépasserait les 40 millions de dollars à la fin du mandat de Dasuki.
À ce jour, le couple possède toujours des maisons à Los Angeles et à McLean d’une valeur de 20 millions de dollars. La maison de Los Angeles a été mise en vente pour 12,88 millions de dollars au mois de janvier 2025.
« L’argent sale trouve son refuge »
Les allégations contre Dasuki soulignent comment, comme l’explique Steve Thompson du Washington Post, « le marché immobilier américain est devenu un havre de paix pour le blanchiment d’argent de fonctionnaires corrompus et criminels du monde entier, un endroit où ils peuvent cacher leur affaires derrière des sociétés écrans opaques. »
En 2018, les forces de l’ordre nigérianes ont informé les autorités américaines des allégations contre Dasuki et les Oshodin, implorant le ministère de la Justice de suivre l’argent leur étant lié. Mais le couple Oshodin a continué à acheter et à vendre d’autres maisons après que les autorités américaines aient été informées de ces allégations.
L’enquête menée par le gouvernement nigérian sur le couple Oshodin montre que les efforts déployés par les États-Unis pour empêcher l’argent sale d’entrer sur leur marché immobilier présentent d’importantes lacunes. En 2024, les États-Unis ont pris des mesures supplémentaires pour cibler les flux financiers illicites dans l’immobilier. Cette nouvelle règle exige que les sociétés de titres de propriété et autres collectent des informations sur certaines ventes immobilières, en particulier sur les transactions où l’acheteur est un trust ou une autre entité juridique et paie en liquide.
Tout aussi préoccupant, le gouvernement nigérian s’efforce toujours de récupérer les actifs et de poursuivre les affaires liées au scandale du Dasukigate, mais avec d’importants problèmes de coordination et des retards judiciaires. Le scandale du Dasukigate reste donc un test critique pour l’engagement du Nigeria dans la lutte contre la corruption.
À propos de PPLAAF
La Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) est une organisation non gouvernementale créée en 2017. PPLAAF vise à défendre les lanceurs d’alerte, ainsi qu’à mener du plaidoyer et engager des contentieux stratégiques en leur nom lorsque leurs révélations traitent de l’intérêt général des citoyens Africains.
Pour plus d’informations sur l’organisation, veuillez consulter notre site web à l’adresse https://pplaaf.org et nous suivre sur Facebook ou X.
À propos de l’enquête :
The Washington Post:
“The mysterious Virginia mansion allegedly bought with stolen Nigerian money”, Steve Thompson, November 13, 2024.
Premium Times:
“INVESTIGATION: Dasuki Money Trail: How ex-NSA approved suspicious billions for family friends”, Kabir Yusuf and John Dell’Osso, November 13, 2024.