MÉTHODES DE DÉSINFORMATION RUSSES EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

Recruté par un agent russe pour soutenir la propagande pro-russe en République centrafricaine (RCA), le journaliste Ephrem Yalike-Ngonzo a dénoncé, depuis son exil, la manipulation de l’information et l’intimidation brutale exercées par un réseau secret lié à la Russie. Ephrem Yalike-Ngonzo est devenu un témoin clé du système de désinformation de Moscou en RCA, où il a assisté et participé à étouffer la voix de l’opposition, à glorifier la présence de la Russie et à couvrir des abus commis par le groupe mercenaire Wagner.

« Il est important pour moi de partager cette histoire afin que justice soit faite », a déclaré M. Yalike-Ngonzo dans son entretien avec Associated Press. « Pour dénoncer le non-respect des droits de l’homme et pour exposer le système de désinformation qui peut être reproduit dans d’autres pays. »

Pendant plus de deux ans, PPLAAF a travaillé avec Forbidden Stories pour aider Ephrem Yalike-Ngonzo à témoigner en toute sécurité sur les méthodes employées par une « organisation russe non officielle » appelée « African Politology ». Suite aux menaces recues et craignant pour sa sécurité, Yalike-Ngonzo et sa famille ont été contraints de fuir la RCA avec le soutien de PPLAAF. En novembre 2024, l’enquête de Forbidden Stories a révélé l’étendue de cette campagne de désinformation.

L’implication de la Russie en RCA

Le groupe Wagner est présent en RCA depuis 2018, Moscou et le président de la RCA, Faustin-Archange Touadéra, affirmant que le groupe soutient et protège les Centrafricains contre les groupes rebelles. Depuis son indépendance de la France en 1960, la RCA a dû faire face à six coups d’État et à une terrible guerre civile qui a éclaté fin 2012. En conséquence, bien que la RCA dispose d’une richesse prolifique en ressources naturelles, elle reste l’une des nations les plus pauvres du monde, luttant contre l’instabilité, la violence et les déplacements de population.

La Russie est intervenue en RCA peu après le retrait des forces françaises de ce pays en 2016. Selon la BBC, l’opposition accuse le gouvernement d’échanger un soutien militaire contre « l’exploitation des ressources du pays ». Depuis leur entrée en RCA en 2018, les filiales de Wagner ont obtenu des contrats leur permettant d’exploiter de nombreuses mines d’or et de diamants. Plus troublant, la Russie a également été accusée de graves violations des droits de l’homme en RCA, y compris de torture, ciblant principalement les civils perçus comme proches des groupes rebelles.

Bien que la présence de Wagner s’étende à toute l’Afrique, y compris au Mali, au Burkina Faso et au Niger, c’est en RCA qu’elle est la plus importante. En décembre 2024, un monument à la mémoire du défunt chef de Wagner, Evgeniy Prigozhin, a été érigé à Bangui, capitale de la République centrafricaine.

Conjointement à sa présence militaire, la Russie a développé et renforcé un vaste système de désinformation en RCA, révélé par le lanceur d’alerte Ephrem Yalike-Ngonzo. Au cœur de cette machine de désinformation et de l’expérience d’ Ephrem se trouve l’organisation de propagande russe Africa Politology.

Un rouage dans la machine de désinformation

En novembre 2019, Ephrem a été approché par un jeune Russe et son traducteur. Le Russe, qui se présente comme « Micha », propose à Ephrem une opportunité rentable de publier des articles en faveur de l’armée centrafricaine et du groupe Wagner. La rémunération promise par article dépassait de loin le salaire en vigueur pour les journalistes en RCA.

Forbidden Stories a par la suite identifié Micha comme étant Mikhaïl Mikhaïlovitch Prudnikov, une figure centrale de l’Africa Politology ayant des liens directs avec les réseaux d’Evgeny Prigozhin. Selon le Trésor américain cité par Forbidden Stories, Africa Politology développerait « des stratégies et des mécanismes visant à inciter les pays occidentaux à retirer leur présence en Afrique et serait impliqué dans une série de missions d’influence russes en République centrafricaine ». Prudnikov a occupé plusieurs postes au sein de la structure, participant d’abord à des opérations de désinformation en Afrique et au Soudan, avant d’être nommé responsable de la gestion des médias en République centrafricaine.

Ignorant les véritables intentions de Micha, Ephrem a accepté la proposition, comme il l’explique à Associated Press : « Je pensais contribuer à ramener la paix dans le pays ». Si il n’écrivait que de “faux articles de presse” célébrant la Russie et le groupe Wagner, après quelques mois, il lui a été demandé de jouer un rôle plus actif dans cette campagne de désinformation. En plus de réfuter tout propos défavorable sur la présence de la Russie, il a commencé à écrire des articles « niant la véracité de tout ce qui est dit par les opposants ou les critiques », payant d’autres journalistes environ 15 dollars américain pour diffuser ces articles dans les journaux locaux tout en les publiant sur son propre blog.

Ephrem a également fait l’éloge et la promotion des mercenaires de Wagner et a fourni aux stations de radio des « experts prêts à soutenir » le régime et ses partenaires russes. Micha a également chargé Ephrem d’organiser de fausses manifestations anti-occidentales et pro-russes devant les ambassades mais également devant la MINUSCA, la mission des Nations Unies en RCA. Publiées en ligne et reprises dans des articles, ces fausses manifestations devaient entretenir l’idée que les citoyens centrafricains soutenaient les Russes.

Ephrem explique à Forbidden Stories : « ils voulaient faire savoir par tous les moyens – notamment via les ondes de la station de radio Lengo Songo – que l’ensemble de la population était pour ».

S’échapper pour se mettre en sécurité

« J’ai réalisé que c’était contre ma conscience », a déclaré Ephrem à Associated Press.

Fin février 2022, Micha demande à Ephrem de le rejoindre à Bouar pour rédiger un article sur des groupes rebelles qui auraient commis des atrocités à l’encontre de la population locale – l’article devait décrire une confrontation armée entre des rebelles et des bergers peuls.

Ephrem avait des doutes sur la véracité des faits et Micha a admis que les Russes étaient ceux qui avaient accidentellement attaqué les bergers. Il poursuit la rédaction de l’article en précisant que les mercenaires russes se sont occupés des deux bergers blessés. Cependant, un mois plus tard, l’histoire a fait l’objet d’un article dans un autre journal, avec une page entière sur le rôle réel des mercenaires russes.

Ephrem est immédiatement accusé d’avoir divulgué la nouvelle. Soupçonné par Micha, ce dernier l’emmène dans une forêt et menace de le tuer. N’ayant trouvé aucune preuve compromettante sur son téléphone, il est reparti en laissant Ephrem sur le bord de la route. Craignant pour sa vie, il a décidé de fuir la RCA et de lancer l’alerte.

« À ce moment-là, je voulais partir, mais je ne pouvais pas […] Pourquoi ? Parce que Micha m’a dit que […] où que j’aille, ils auraient le contrôle sur moi. »

Après une série d’obstacles, dont une arrestation à l’aéroport de Bangui et la traversée de la rivière Ubangui vers la RDC, Ephrem et sa famille sont désormais en sécurité, mais doivent rester cachés.

Bien que le groupe Wagner reste bien ancré en RCA, les méthodes « testées et approuvées » ont été reproduites ailleurs en Afrique, et d’autres personnes comme Ephrem sont utilisées et contrôlées pour manipuler l’opinion publique.

À propos de PPLAAF

La Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) est une organisation non gouvernementale créée en 2017. PPLAAF vise à défendre les lanceurs d’alerte, ainsi qu’à mener du plaidoyer et engager des contentieux stratégiques en leur nom lorsque leurs révélations traitent de l’intérêt général des citoyens Africains.