Le Directeur-Général de l’OMS visé par une enquête politiquement motivée

Une récente enquête menée par la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF) révèle que les autorités éthiopiennes auraient lancé une vaste enquête anticorruption visant le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus alors qu’il était en campagne pour un second mandat de cinq ans en tant que directeur général de l’Organisation Mondiale de Santé (OMS). Ancien ministre éthiopien et directeur de l’OMS depuis 2017, Tedros s’est retrouvé dans le collimateur de son propre gouvernement, l’enquête semblant s’appuyer sur des sources douteuses et des allégations non-vérifiées. Cette dernière a été menée par le Service de Renseignement Financier (FIS) éthiopien, l’entité gouvernementale chargée de surveiller les transactions financières suspectes.

L’enquête de PPLAAF s’appuie sur une multitude de courriels électroniques et documents fournis par l’organisation pro-transparence Distributed Denial of Secrets (DDoSecrets). DDoSecrets a reçu une large collection de courriels et de documents gouvernementaux de la part d’une source anonyme, notamment 19 000 mails du FIS éthiopien, dont certains liés à l’enquête sur Tedros.

Après avoir examiné les communications du FIS, PPLAAF a transmis ses découvertes à plusieurs médias partenaires, incluant Bloomberg aux Etats-Unis, Suddeutsche Zeitung en Allemagne, Tamedia en Suisse, et The Continent en Afrique du Sud. Ces médias partenaires ont étudié les pièces en toute indépendance, les recoupant avec d’autres sources d’information, et ont révélé non seulement les efforts d’investigation du gouvernement mais aussi ce qui semble être une campagne d’intimidation de plus grande envergure. Ces informations suggèrent que l’enquête sur Tedros aurait été basée sur des sources douteuses et des allégations non-fondées.

« Lorsque des fonctionnaires détournent la lutte contre la corruption et la criminalité financière pour régler des comptes politiques, cela porte atteinte à l’État de droit et constitue un revers pour les efforts authentiques de bonne gouvernance« , a déclaré Gabriel Bourdon-Fattal de PPLAAF. « Les documents du gouvernement éthiopien nous donnent un aperçu rare de la bureaucratie et des mécanismes de ces actes supposés ciblés. »

L’enquête du FIS

Tedros est un ancien ministre éthiopien de la Santé et, depuis 2017, le Directeur-Général de l’OMS. En juin 2021, le FIS ouvre une enquête sur Tedros. Son mandat en tant que ministre de la Santé est passé au crible par les enquêteurs, et des allégations contre lui sont formulées, dont des abus de pouvoir, des détournements de fonds publics, des comportements sexuels répréhensibles, et des achats illicites de propriétés à Addis Ababa.

En juillet 2021, quelques mois seulement après le début de la longue procédure de renouvellement du mandat du Directeur-Général de l’OMS, les documents de la FIS montrent que l’entité gouvernementale avait commencé à rassembler des preuves, notamment en demandant aux banques commerciales éthiopiennes des informations sur Tedros, sa femme et ses enfants. Puis, environ trois semaines avant la clôture de la période de nomination de l’IMS, un enquêteur envoie un rapport détaillé résumant les conclusions de l’agence au chef de la FIS, en demandant à son supérieur d’examiner rapidement le rapport : « J’ai joint une partie d’un nouveau rapport avec des documents à l’appui qui ont besoin de votre ordre d’argent [sic] », a-t-il écrit en anglais.

La rapport, intitulé « Rapport d’inspection et d’analyse sur les soupçons de détournement de fonds et de blanchiment de produits du crime par Tedros Adhanom : Partie 1 », énonce de sérieuses allégations à l’encontre de Tedros liées à son mandat en tant que Ministre de la Santé, notamment des accusations d’abus de pouvoir et de détournement de fonds publics. Le rapport de l’agence recommande que des poursuites pénales soient engagées à l’encontre de Tedros, suggérant même que son diplôme de médecin soit révoqué. Le rapport recommande également des poursuites pénales similaires pour les personnes et les entités soupçonnées d’avoir conspiré avec Tedros, y compris l’agence de développement appartenant au gouvernement allemand, l’Agence allemande pour la coopération internationale (GIZ).

Selon le FIS, « Tedros aurait demandé des faveurs sexuelles à des femmes en échange de promotions lorsqu’il était ministre de la santé (2005-2012) », a rapporté Tamedia. Cependant, ces accusations apparaissent être infondées. Le FIS a aussi accusé Tedros de « détournement et de blanchiment d’argent », affirmant qu’il « a acheté des tests de dépistage du sida défectueux, (et) des moustiquaires et des médicaments hors de prix lorsqu’il était ministre de la santé entre 2005 et 2012 ». Une enquête a été ouverte sur ces accusations, mais son état d’avancement n’est pas connu à ce jour. 

Motivations Politiques et le Conflit du Tigré

Dans une interview accordée Bloomberg en août 2023, Tedros a qualifié cette enquête de « campagne de diffamation » fondée sur son appartenance ethnique et son appartenance au Front de Libération du Peuple du Tigré (FLPT), un parti politique éthiopien lui-même accusé de détenir et de torturer des opposants lorsqu’il était au pouvoir. Avant sa nomination à l’OMS, Tedros, qui est lui-même tigréen, a consacré sa vie professionnelle au FLPT. Le 3 novembre 2020, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed  déclare la guerre au parti au pouvoir dans la région du Tigré, dans le nord de l’Ethiopie. Le 19 novembre, Tedros évoque la situation sur Twitter et appelle à la paix. Le même jour, dans une déclaration télévisée, le chef de l’armée éthiopienne accuse Tedros de fournir des armes au FLPT, sans fournir de preuves permettant de soutenir cette accusation. Le Dr Tedros dément ces allégations.

En l’état actuel des choses, les allégations contre Tedros semblent peu convaincantes. Par exemple, l’un des accusateurs se fonde sur l’achat de tests de dépistage du sida et la commande de moustiquaires passée par Tedros pour accuser ce dernier de corruption. Pourtant, l’achat des tests de dépistage du sida a été effectué après que Tedros eut quitté le ministère de la santé, et la commande de moustiquaires a été passée par l’intermédiaire du Fonds des Nations unies pour l’enfance, qui affirme que Tedros n’a jamais touché à l’argent. En outre, dans ses réponses, la GIZ a déclaré qu’elle n’avait vu aucune indication de mauvaise conduite financière ou autre dans le cadre d’ un projet qui, selon la FIS, aurait été utilisé comme moyen de détourner des fonds publics.

En septembre 2022, trois mois après le renouvellement du mandat de Tedros à la tête de l’OMS, les diplomates de la Mission Permanente Éthiopienne auprès des Nations Unies à Genève soumettent une plainte à l’OMS, demandant à l’organisation de conduire une enquête sur Tedros. Les diplomates ont accusé Tedros de se servir de sa position de Directeur-Général de l’OMS pour attaquer le gouvernement éthiopien et soutenir les forces tigréennes, notamment par la fourniture de matériel et la facilitation de transfert d’armes. L’OMS n’a pas donné suite à cette requête, Addis Ababa n’ayant pas étayé ses accusations.

L’enquête du FIS éthiopien n’est pas la seule initiative visant le Directeur-Général de l’OMS. Selon la Tribune de Genève, Tedros a été suivi près de sa maison en Suisse par des personnes s’apparentant à des agents éthiopiens. L’un de ses enfants, qui étudie au Royaume-Uni, s’est aussi vu confisqué son passeport éthiopien pendant huit mois, jusqu’à ce que les autorités suisses, après l’intervention de Tedros, lui accordent un laissez-passer lui permettant de rejoindre son père à Genève. Enfin, dans son intervention concernant l’enquête du gouvernement, Tedros a dit à Bloomberg que son oncle a été « tué de sang-froid » pour des raisons politiques en décembre 2022.

PPLAAF et les médias partenaires ont envoyé des demandes de commentaires aux entités du gouvernement éthiopien, aux personnes visées ou mentionnées dans l’enquête, ainsi qu’à d’autres personnes. À ce jour, le gouvernement éthiopien n’a répondu à aucune de ces demandes.

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