Deux lanceurs d’alerte congolais réfugiés en France poursuivent la banque gabonaise BGFI et sa filiale congolaise en réparation des dommages qu’ils ont subis après avoir signalé des malversations
Paris, le 12 juillet 2022 – Avec cette décision, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français confirme que tout étranger domicilié en France bénéficie des mêmes droits qu’un ressortissant français et donc peut attraire un étranger devant une juridiction civile française, a déclaré la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF) aujourd’hui.
Deux lanceurs d’alerte congolais, Jean-Jacques Lumumba et Guylain Luwere, avaient été intimidés et menacés par leur employeur, la filiale congolaise de la BGFI, après avoir dénoncé à leur hiérarchie des malversations en lien avec l’entourage de l’ancien président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila. Les deux banquiers avaient été contraints de s’exiler en 2016-2017 pour des raisons de sécurité, et avaient obtenu l’asile en France.
En 2019, avec l’appui de PPLAAF, ils ont assigné en justice la banque gabonaise et sa filiale congolaise en réparation des préjudices subis. La BGFI n’a cessé de considérer que les juridictions françaises étaient incompétentes, les demandeurs et les défendeurs étant des étrangers.
« Avec cette décision sans précédent, la Cour de cassation confirme que tout étranger domicilié en France, y compris s’il est réfugié, bénéficie des mêmes droits qu’un ressortissant français », a dit Henri Thulliez, directeur de PPLAAF. « Une personne domiciliée en France peut attraire en justice un étranger en réparation des préjudices subis même si le dommage est antérieur à son arrivée en France ».
Dans ses deux arrêts en date du 29 juin 2022, la Cour de cassation a combiné les article 6 et 21 du règlement UE n°1215.2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 et de l’article 14 du Code civil pour indiquer que : « dès lors que ni le domicile du défendeur, ni le lieu d’accomplissement du travail, ni celui où se trouve l’établissement qui a embauché le salarié ne sont situés sur le territoire d’un Etat membre, le conflit de juridictions est réglé selon les dispositions du droit national […] au nombre desquelles figure l’article 14 du code civil, et que les étrangers domiciliés dans l’Etat du for peuvent s’en prévaloir au même titre que les nationaux ».
Par ailleurs, la Cour de cassation a condamné in solidum les sociétés BGFI Bank RDC et BGFI Holding Corporation à payer aux lanceurs d’alerte, respectivement, la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. Compte tenu de l’importance de ces décisions, elles font l’objet d’une publication spéciale, soit au bulletin.
Jean-Jacques Lumumba, était un cadre dirigeant de la branche crédit au sein de la BGFIBank RDC où il travaillait depuis 2012. Jean-Jacques Lumumba découvre l’existence de plusieurs transactions suspectes de dizaines de millions de dollars entre la BGFIBank RDC, dirigée par des proches de l’ancien président Joseph Kabila, et des sociétés, elles aussi contrôlées par des proches du Président. Quelques mois plus tard, Lumumba alerte en interne ses supérieurs. Menacé avec une arme à feu par le Directeur général de la banque et craignant pour sa vie, Lumumba quitte son pays avec sa famille puis révèle courageusement les agissements de la banque.
Guylain Luwere travaillait depuis 2015 à la BGFIBank RDC en tant que pilote responsable du contrôle de gestion. A ce poste, il révèle auprès de sa hiérarchie que des dépenses sont effectuées par la banque en dehors des procédures légales et internes. Il met aussi en garde la banque sur l’existence d’importants dépôts bancaires appartenant à des sociétés liées à un réseau d’entreprises sanctionné par le Trésor américain pour financement du terrorisme. D’abord menacé par divers membres de sa hiérarchie, il est ensuite agressé physiquement avec sa femme dans la rue. A la suite de ces menaces, Guylain Luwere et sa famille quittent la RDC pour vivre en exil en Europe.
« Mes alertes, je les ai déclenchées pour l’honneur de notre profession de banquier, pour le bien de mes compatriotes qui ne veulent plus être pris en otage par la cupidité de ses dirigeants », a déclaré Jean-Jacques Lumumba. « Mais j’en paye encore le prix aujourd’hui. Il est temps pour la BGFI de réparer le dommage qu’elle nous a causé ».
La Banque Gabonaise et Française internationale (BGFI Holding Corporation SA) est une banque dont la maison mère est basée à Libreville, au Gabon. Elle se présente comme « la première banque d’Afrique centrale ». Elle possède des filiales au Gabon, en République du Congo, à Madagascar, en Guinée équatoriale, au Bénin, au Sénégal, en RDC, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et en France.
C’est en septembre 2010 que la BGFI Holding a ouvert une filiale en RDC, la BGFIBank RDC. A l’époque des faits, la sœur de l’ancien chef de l’Etat Joseph Kabila était actionnaire de la filiale congolaise à hauteur de 40%, le reste des actions étant majoritairement détenu par la BGFI Holding. La BGFIBank RDC était dirigée par Francis Selemani Mtwale, le frère adoptif du président Kabila.
Une fuite de données provenant de la BGFI a conduit à la publication de Congo Hold-up en novembre 2021.
Congo Hold-up est un projet international d’investigation mené par 19 médias et 5 ONG sur la base de plus de 3,5 millions de documents bancaires. Les enquêtes publiées exposent comment des intérêts privés se sont emparés des ressources de la RDC : richesses naturelles, Commission électorale, Banque centrale, sociétés minières publiques et recettes fiscales. Les secteurs bancaire, alimentaire et de la construction, ainsi que la mission permanente du pays auprès des Nations unies, n’ont pas non plus été épargnés par les détournements et la corruption.
Les révélations ont entraîné l’ouverture d’enquêtes pénales, notamment en Belgique et en France.
L’enquête Congo Hold-up a confirmé les révélations faites par Lumumba et Luwere.
La Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) est une organisation non gouvernementale créée en 2017. PPLAAF vise à défendre les lanceurs d’alerte, ainsi qu’à mener du plaidoyer et engager des contentieux stratégiques en leur nom lorsque leurs révélations traitent de l’intérêt général des citoyens Africains.
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