State Capture

La principale accusation portée contre l’ex-président Sud-africain Jacob Zuma, émanant de plaintes de lanceurs d’alerte travaillant avec la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF) est celle de « State Capture » (captation d’Etat). Cette expression est largement utilisée en Afrique du Sud. La capture d’état est plus qu’une simple corruption: c’est un pillage des entreprises et des institutions nationales, impliquant une corruption des gens du pouvoir, ainsi que la modification des lois du pays, de sorte que tous travaillent dans leur intérêt privé.

Au centre du système, la famille Gupta. Les trois frères Gupta sont arrivés en Afrique du Sud en provenance de l’Inde dans les années 1990 et ont transformé une entreprise de pièces d’ordinateur en un conglomérat de sociétés opérant dans les médias, les mines et les services professionnels. L’un des fils du président Zuma, Duduzane, a travaillé pour la famille.

Mosilo Mothepu est la première à avoir lancé l’alerte. Mothepu a été directrice générale de Trillian Financial Advisory, une société de consulting Sud-africaine et une filiale de Trillian Capital. L’entreprise est détenue par Salim Essa, un associé de la famille Gupta.

Percevant que ses supérieurs lui mentaient au sujet des activités de la compagnie, Mothepu démissionne de Trillian en juin 2016. Bien qu’elle craigne des conséquences judiciaires et des poursuites pour diffamation, Mothepu décide de prendre la parole. Elle envoie une lettre à Thuli Madonsela, l’ancien Protecteur public, un médiateur dont l’indépendance est garantie par la Constitution, qui a abouti à la publication en octobre 2016 de « State Capture », un rapport sur les liens entre la famille Gupta et le président Zuma. Elle témoigne ensuite devant le parlement Sud-africain en octobre 2017.

Le rapport « State of Capture » enquête sur des allégations de « conduite inappropriée et contraire à l’éthique de la part du président et d’autres fonctionnaires de l’État concernant des relations et une implication inappropriée de la famille Gupta dans la révocation et la nomination des ministres et directeurs d’entités publiques ». Le président Zuma a demandé, sans succès, une ordonnance du tribunal pour empêcher la publication du rapport le 14 octobre 2016, date du dernier jour de mandat de Madonsela.

Quelques jours après la publication du rapport de Madonsela, le président de Trillian, Tokyo Sexwale, annonce une vaste enquête interne sur les allégations de l’ancienne dirigeante, confiée à l’avocat Geoff Budlender. L’enquête s’est terminée par la publication d’un rapport intitulé « The Budlender Report ».

Le témoignage de Mothepu a ensuite été divulgué par une source inconnue au Sunday Times, qui publie en octobre 2016 un article exposant les liens entre la famille Gupta et le président Zuma. Le Sunday Times n’a pas confirmé que Mothepu n’était pas la source de la fuite, et elle a par la suite fait l’objet de poursuites judiciaires de la part de Trillian. Inspirée par l’action de Mothepu, une autre lanceuse d’alerte, également employée de Trillian, a décidé de prendre la parole : Bianca Goodson. Goodson a été directrice générale de Trillian Management, une autre filiale de Trillian Capital. Remarquant des activités suspectes, Goodson a quitté Trillian en avril 2016. Un an plus tard, Goodson a publié un témoignage détaillée sur les activités de Trillian par l’intermédiaire de PPLAAF et a témoigné devant le parlement Sud-africain en novembre 2017.

Au début de 2017, deux organisations, dont PPLAAF, ont reçu ce qu’on appelait alors les « GuptaLeaks » : des centaines de milliers de documents, courriels, etc, envoyés entre les Guptas et leurs associés, montrant l’étendue du contrôle de la famille Gupta sur les politiciens et les entreprises d’Etat et l’implication de nombreuses entreprises internationales dans les activités de la famille Gupta.

De nombreuses autres révélations ont été faites à propos de cette affaire, impliquant des entreprises publiques Sud-africaines, telle que la compagnie d’électricité Eskom, et des firmes internationales comme HSBC et la société de conseil Mckinsey, entre autres. McKinsey a été impliqué dans l’obtention de contrats d’Eskom pour Trillian et a reçu des paiements illégaux de la part de l’entreprise.

Le 13 décembre 2017, une Haute Cour Sud-africaine ordonne au Président Zuma d’ouvrir une enquête judiciaire sur les allégations selon lesquelles lui et son fils Duduzane étaient impliqués dans la captation de l’Etat. Dans une décision distincte, la cour a déclaré que la tentative du président Zuma de bloquer la publication du rapport « State of Capture » par le Protecteur public était abusive. L’enquête gouvernementale a été officiellement lancée le 25 janvier 2018.

Le 16 janvier 2018, la succursale de McKinsey South Africa reçoit une ordonnance de saisie d’actifs initiée par l’Unité de confiscation d’actifs (AFU), qui fait partie de l’Autorité nationale des poursuites. Cette ordonnance découle du paiement illégal de l’argent de l’entreprise publique d’électricité Eskom à McKinsey et Trillian. McKinsey a eu 1,1 milliard de rands saisis et Trillian 95 millions de rands.

Le 19 janvier 2018, avec l’appui de PPLAAF, la Fédération Sud-africaine des syndicats (SAFTU), composée de 700.000 syndicalistes Sud-africains, a porté plainte contre Trillian pour recueillir des preuves à l’appui des accusations criminelles et des procédures de confiscations civiles, notamment en matière de fraude.

PPLAAF a soutenu Goodson et Mothepu en leur fournissant un conseil juridique de leur choix et un soutien financier, en les assistant dans la préparation de leurs témoignages, en évaluant les risques encourus et en relatant leurs cas dans les médias nationaux et internationaux.

PPLAAF s’est également associé aux médias Sud-africains amaBhungane et Daily Maverick pour fournir un accès aux GuptaLeaks via un portail unique – à travers le Organised Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) avec le soutien de Finance Uncovered.

PPLAAF a également travaillé avec l’équipe de l’AFU et de la SATFU qui a récemment franchi l’étape prometteuse consistant à saisir les actifs de Trillian considérés comme les fruits d’une criminalité présumée.


Au cœur de cette affaire sont les allégations que les Guptas ont eu une influence excessive sur la politique Sud-africaine, dont ils ont profité pour changer les nominations politiques et obtenir des contrats gouvernementaux illégaux.

Selon l’ancien ministre des Finances, Pravin Gordhan, le fait que des entreprises publiques et d’autres institutions gouvernementales aient pillé leurs propres fonds a mené a ce que “150 milliards à 200 milliards de rands (11 à 15 milliards de dollars) ont été volés”.

Obtention illégale de contrats publics

Dans leurs témoignages, Mothepu et Goodson ont dévoilé comment Trillian utilisait ses liens pour obtenir illégalement des contrats gouvernementaux lucratifs. L’entreprise prévoyait de générer des revenus grâce à l’accès à des entités publiques tels que le fournisseur d’électricité Sud-africain Eskom et la société de logistique Transnet. Trillian utilisait ostensiblement des liens politiques pour créer et conclure de gros contrats pour des partenaires qui effectueraient le travail. En échange, l’entreprise a reçu jusqu’à 50% de la valeur du contrat.

Un litige judiciaire entre le PDG de Trillian et ses anciens partenaires a révélé comment Trillian aurait gagné des millions de rands de leur association avec Transnet.

En outre, trois filiales de Trillian ont été nommées dans le rapport du Protecteur public comme ayant contribué à hauteur de 235 millions de rands pour l’acquisition par le consortium de la famille Gupta de la mine Optimum Coal, la mine de charbon qui alimente la centrale électrique d’Eskom.

Nominations politiques

Les lanceurs d’alerte ont également révélé comment l’entreprise aurait influé pour faire licencier le ministre des Finances, Nhlanhla Nene, et prévoyait d’exploiter l’accès au Trésor national sous son remplaçant, Des van Rooyen. Le ministre a été licencié subitement et remplacé par Van Rooyen, qui avait été dans une relation d’affaires avec les Guptas auparavant. Après avoir révélé les preuves sur le limogeage de Nene par les Guptas, Mothepu est devenu connu sous le surnom “ NeneGate Whistleblower”.

Dans un autre cas, le vice-ministre des Finances, Mcebisi Jonas, a déclaré dans un témoignage assermenté au Protecteur public que l’un des frères Gupta lui avait offert plus de 40 millions de dollars s’il acceptait d’être nommé ministre des Finances et de remplacer les principaux fonctionnaires du ministère. Quand il a refusé l’offre, on lui a offert 4 millions de dollars en espèces immédiatement pour lui faire changer d’avis.

Multinationales

Certaines des plus grandes entreprises mondiales se sont retrouvées empêtrées dans l’affaire de capture d’État et leurs liens d’affaires avec les Guptas.

Le vaste système d’entreprises en place comprenait des sociétés fictives et utilisait des Etats aux règlementations opaques, comme Dubaï, pour faciliter le transfert d’argent et la réception des paiements illicites. D’autres entreprises, avec des activités réelles, servaient le même objectif parallèle. Ces entreprises opéraient à partir de Dubaï (Accurate, Global Corporation et Gateway, etc.) et d’Afrique du Sud (Trading Linkway, Mabengela, Elgasolve, Sahara, Oakbay), et d’autres pays comme Hong Kong, le Lesotho, et à Londres.

L’argent a été détourné des entités publiques telles que Transnet et Eskom et réaffecté à d’autres buts allant du gain personnel à des exhibitions ostentatoires de pouvoir et de richesse.

KPMG, l’un des plus grands cabinets d’audit mondiaux, était l’auditeur de Linkway à une époque où l’entreprise détournait les fonds du projet Estina localisé dans le Free State, conçu pour soutenir les petits producteurs laitiers noirs. Au lieu de cela, ces fonds ont été canalisés vers Dubaï et une partie des fonds est revenu pour payer le mariage de Guptas. Le cabinet s’est depuis excusé pour la “qualité” de son audit.

KPMG est un bénéficiaire important des contrats liés aux Guptas. Le cabinet a rédigé un rapport à l’appui des affirmations selon lesquelles le Service du revenu de l’Afrique du Sud (SRAS) était devenu un « cabinet voyou ». Ce rapport a conduit à la mise en accusation de Pravin Gordhan, ancien ministre des Finances. Le cabinet a depuis avoué n’avoir aucune preuve à l’appui du fait que Gordhan était au courant que l’unité « devenait un cabinet voyou » et a reconnu la contribution de KPMG dans la capture d’Etat.

En conséquence, les dirigeants et partenaires de KPMG en Afrique du Sud ont quitté l’entreprise. KPMG a remboursé l’argent reçu pour avoir rédigé le rapport sur le SRAS et a donné des millions de dollars à des ONG.

Goodson a également révélé que le cabinet de conseil international McKinsey a travaillé pour Eskom. Les documents montrent que McKinsey a travaillé avec Trillian Capital dans le cadre de contrats remportés par le service public.

McKinsey dit qu’il n’a jamais conclu un contrat formel avec Trillian, et que des paiements n’ont jamais été effectués à la société, en montrant des lettres qui permettent des constater que McKinsey a averti Eskom qu’avoir une relation d’affaire avec Trillian est risqué.

Goodson, cependant, a montré que McKinsey a traité Trillian comme un « bagage indésirable » et a montré comment un représentant de McKinsey a déclaré que « [le développement du fournisseur] n’a pas vraiment d’importance tant que vous obtenez votre pourcentage ».

La banque internationale HSBC aurait omis de fermer des comptes liés aux Guptas bien que son personnel en Afrique du Sud les ait avertis d’activités suspectes.

Le cabinet de relations publiques Bell Pottinger a aidé les Guptas à qualifier les accusations portées contre eux comme ayant des motivations racistes. L’entreprise a éprouvé de graves problèmes à garder ses clients et est actuellement en faillite.

SAP, une société de logiciels allemande, a lancé une enquête interne et a constaté que plus de 6 millions de dollars de commissions ont été versées à des entreprises liées aux Guptas pour des contrats avec des sociétés d’État. La société a envoyé les documents aux autorités américaines et a annoncé qu’elle ne paierait plus de commission aux employés de SAP qui obtiennent des contrats dans les pays ayant obtenu de mauvais résultats sur l’indice de perception de la corruption de Transparency International.

Pour plus d’information:

PPLAAF:

The Daily Maverick:

Financial Times:

South Africa whistleblower complains of political persecution, Joseph Cotterill, November 8th, 2017

Bloomberg:

McKinsey Letters Add Twist to South Africa Corruption Scandals, Sam Mkokeli, Janice Kew and Antony Sguzzain, October 3rd, 2017

BizNews:

7Q2:

amaBhungane:

ENCA:

Reuters:

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