Le trafic du bois de rose au Mali

Amadou Traoré, un lanceur d’alerte malien, a dénoncé le trafic de bois de rose, aussi appelé « bois de Vène », et la déforestation le long des frontières entre le Mali et le Sénégal. Après avoir terminé ses études universitaires, Traoré, originaire de Thial au Mali, rencontre un homme d’affaires chinois connu sous le nom de « M. X ». L’activité de cet homme d’affaires est centrée sur le bois de rose, utilisé en ébénisterie, qu’il vend par l’intermédiaire de sa société. Cependant, M.X. est confronté à la barrière de la langue qui entrave ses activités professionnelles. Il propose alors à Traoré un poste d’interprète en 2014, et alors que ce dernier gravissait les échelons au sein de la société, il découvre que le bois de rose exporté vers la Chine était faussement déclaré comme provenant de Côte d’Ivoire. En réalité, ce bois proviendrait du Mali, où le commerce du bois de rose est pourtant suspendu.

Quelque temps plus tard, en 2018, Traoré est envoyé dans la forêt où il dit avoir été  témoin de la déforestation massive causée par la surexploitation des ressources naturelles au Mali. À son retour à Bamako, Traoré tente d’alerter les autorités. Bien qu’il ait contacté le département de l’environnement par courrier électronique et qu’il se soit rendu physiquement au ministère de l’environnement, ses révélations sont accueillies avec indifférence. Le ministère lui avait suggéré de soumettre une note explicative, mais aucune action concrète n’est entreprise. Frustré, Traoré  contacte également divers médias nationaux et internationaux, dont France 24, qui ont ensuite lancé une enquête sur l’affaire.

Les informations et documents partagés par le lanceur d’alerte ont conduit à la mise en place d’un consortium de journalistes sénégalais, coordonné par la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF). En septembre 2022, ce consortium de journalistes a suivi à Dakar une formation sur la dénonciation et la criminalité financière, organisée par la PPLAAF et Expertise France dans le cadre du projet OCWAR-M.

Avec le soutien du Pulitzer Fund et sous la coordination de PPLAAF, le consortium a mené une enquête approfondie sur le trafic de bois de rose pendant environ un an. Les premiers résultats de cette enquête ont été publiés en août 2023 dans trois médias sénégalais : L’Enquête, GFM et Sen TV.

Déforestation et dégâts environnementaux

L’enquête révèle un schéma de pillage de grande envergure du bois rose dans les forêts du Mali. L’enquête dévoile que des trafiquants chinois, en collaboration avec des individus et autorités au Sénégal et au Mali, exploiteraient les forêts maliennes en corrompant les chefs de village locaux. Cette activité illicite, qui se serait d’abord concentrée en Casamance, au Sénégal, aurait utilisé la Gambie comme point de transit pour acheminer le bois vers l’Asie, en particulier la Chine. Lorsque les stocks de bois se sont épuisés en Casamance, le trafic se serait déplacé vers le sud-est, le long de la frontière malienne, plus précisément dans les régions de Tambacounda et de Niokolo-Koba. Les enquêtes suggèrent que le Mali serait désormais la plaque tournante de ce commerce illégal, alors que le Sénégal jouerait à la fois le rôle de pays de transit et d’approvisionnement.

La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction de 1973 (CITES) suspend le commerce de Pterocarpus erinaceus (bois de rose). Néanmoins, des rapports indiquent que des trafiquants réussiraient à influencer certaines autorités pour obtenir des dérogations illégales leur permettant de couper et d’exporter le bois. La région de Saraya dans la région de Kédougou au Sénégal semble être une zone potentielle pour la récolte de bois ; cependant, des preuves concrètes manquent car les contrôles limités le long de cette route rendent difficile la détection du trafic de bois.

Le bois de rose coupé au Mali passerait principalement par le Sénégal, en particulier par le port de Dakar. En août 2022, les autorités sénégalaises ont saisi 124 conteneurs de bois de rose malien. Le Mali aurait levé la saisie en invoquant une exemption de la CITES. Néanmoins, selon des journalistes, le trafic de bois de rose persiste et se serait déplacé vers la Mauritanie.

Ce commerce lucratif constitue une source de revenus importante pour les trafiquants et leurs collaborateurs, qui transportent le bois vers le marché chinois, très demandeur. Les trafiquants utiliseraient les routes empruntées par les grandes compagnies maritimes internationales. Les conséquences de ce trafic, qui se poursuit aujourd’hui, sont préoccupantes pour la biodiversité et l’environnement local. A cet égard, Traoré explique que « pour accéder et sectionner un grand arbre séculaire, il faut abattre des dizaines de jeunes pousses ». 

Un cadre juridique contourné

L’arrêté ministériel malien du 10 juillet 2014 interdit l’exportation de tous les types de bois « à l’état brut ». Au niveau international, la CITES classe le bois de rose comme une espèce vulnérable mais ce cadre légal semble être contourné par les entreprises forestières. Les entreprises profitent de l’ambiguïté de la désignation « à l’état brut » et produisent des certificats d’exportation qui utilisent l’interprétation large permise par la loi actuelle. Les entreprises prétendent que le bois de rose n’est pas à l’état brut mais qu’il a été transformé avant l’exportation. Cela semble donc permettre une exportation légale.

L’enquête montre que les permis d’exploitation forestière accordés par le Département des Eaux et Forêts du Mali au Général Industrie du Bois, une ancienne entreprise publique, lui permetteraient de vendre du bois de rose à des entreprises chinoises. Cette enquête a ensuite conduit à la suspension temporaire de toutes les activités d’exportation de bois de rose. Cette suspension a néanmoins été levée en 2021 par le gouvernement malien.

Les écologistes du Mali et du Sénégal s’inquiètent de l’absence de contrôles adéquats et du pouvoir considérable des transporteurs sur les routes. Bien que des contrôles aléatoires soient effectués périodiquement, le trafic de bois de rose reste un problème majeur dans la région.

« Même si les premières révélations d’Amadou Traoré remontent à plusieurs années, son alerte reste d’actualité car le trafic de bois de rose persiste », a déclaré Jimmy Kande, directeur de PPLAAF en Afrique de l’Ouest. «PPLAAF reste déterminée à mettre un terme à la déforestation ».

La nécessité de protéger les lanceurs d’alerte

Les révélations sur le bois de rose au Mali ont également menacé la vie de Traoré, qui a dû fuir son pays pour éviter les représailles du réseau à l’origine du trafic de bois. Elles ont conduit à l’adoption de mesures pour stopper le trafic, qui se sont traduites par le blocage de certains conteneurs aux ports et aux frontières. Ces mesures ont été renouvelées, exposant encore davantage le lanceur d’alerte à des représailles. PPLAAF soutient Traoré depuis 2020.

En tant que lanceur d’alerte ayant révélé des actes répréhensibles en matière d’environnement, le cas d’Amadou Traoré a contribué à la création de l’ONG Climate Whistleblowers (CW), qui le soutient également. CW se consacre à la protection des personnes dénonçant des actes répréhensibles liés au climat et vise à devenir un acteur majeur de l’écosystème du mouvement climatique, en offrant un soutien complet aux lanceurs d’alerte.

PPLAAF est une organisation non gouvernementale créée en 2017 pour protéger les lanceurs d’alerte, ainsi que pour plaider et s’engager dans des litiges stratégiques en leur nom lorsque leurs révélations traitent de l’intérêt général des citoyens africains.

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